Books # 02

Publié le par Armel De Lorme

Books # 02

Noël 198...

J’ai neuf ans, et, du cinéma guitryen, je ne connais encore que les grandes fresques historiques, que la Télévision rediffuse régulièrement. Ma marraine, qui a détecté depuis un bail mon goût précoce pour la lecture, m’offre mes premiers tout premiers livres consacrés au septième art. Les trois tomes en format poche de l’Histoire du Cinéma de René Jeanne et Charles Ford. Une anthologie Renoir signée Bazin. Enfin, Le Cinéma et moi.

Découverte du fait que c’est bien, aussi, d'avoir les mots plutôt que les images comme premier contact avec les films, ce d’autant qu'on ne peut pas encore savoir, à neuf ans, que les films en question, on les verra et on les reverra tous, et que pour certains d’entre eux, on écrira un jour à leur propos. Et si que le livre de cinéma en guise de « hors-d'œuvre » implique, forcément, une approche a priori, qu’elle soit favorable ou non, des films, il présente aussi l'avantage de titiller la curiosité, et, partant, de créer du désir.

Découverte précoce du fait qu’un film existe, aussi, par ses à-côtés : le regard critique, l’approche diagonale d’une œuvre, bien sûr, mais, dans le cas spécifique de Guitry, un film dans le film (Le Trésor de Cantenac), une pause dans le récit permettant aux acteurs de la première époque de passer le relai aux interprètes de la seconde (Le Destin fabuleux de Désirée Clary, 1941), une bande-annonce imaginaire jamais tournée (Le Nouveau Testament)…

Cet hiver-là reste, dans mon souvenir, l’un des plus frigorifique de la décennie. Le trajet en voiture Toulouse-Paris, au lendemain des fêtes de fin d’année, est plus interminable encore que les autres années : bouchons, ralentissements, givre, verglas, et encore givre, et de nouveau verglas… Durant les seize ou dix-sept heures qu’a duré ce voyage annuel, qui en temps normal en prend la moitié tout au plus, je me plonge dans la genèse et les fameux à-côtés évoqués plus haut de Bonne Chance !, du Roman d'un tricheur, de Faisons un rêve…, de La Malibran, du Comédien, du Diable boiteux, de La Poison, de La Vie d’un honnête homme, et de vingt autres titres tout aussi mystérieux. Je prend conscience du fait qu’une seule et même personne peut être à l’origine d’un long récit en images consacré à une petite bourgeoise de Marseille devenue reine de Suède, et à celui, plus cursif, retraçant les déboires d’un tricheur professionnel resté en vie parce qu’il a volé et ruiné par le jeu parce qu’il est devenu honnête. Rien de nouveau, sous le soleil, mais j’ai neuf ans, et tout encore à découvrir. Et je découvre aussi, précisément, piochés au hasard d’une filmographie somme toute mal faite, des noms par centaines, certains plus mélodieux à l’oreille que d’autres, et dont j’ignore encore qu’ils m’offriront, quelques décennies plus tard prétexte à la rédaction de notules ou d’articles : Anaclara, Jacques Butin, Michèle Cordoue (comme la ville du même nom), Dalio, Damia, Marfa Dhervilly, Eugénie Fougère, Jean Françaix, Andrée Guize, Lisette Lanvin (comme le chocolat et les parfums), André Lefaur, Meg Lemonnier, Marcel Lévesque, Marguerite Pierry, Jeanne Provost, Germaine Reuver, Cécile Sorel, Renée Thorel, Solange Varennes, Ermete Zacconi. Marguerite de Morlaye. Jane de Rosalba. Joseph de Bretagne. René Renoux, et c'est tout dire...

Dehors, il fait nuit, il fait froid, le bruit des klaxons est permanent, on avance à un à l'heure, mais l’habitacle de la voiture familiale constitue une sorte de bulle protectrice en soi. La bulle « à l’intérieur de la bulle » qui s’établit très vite entre l’enfant que je suis alors – et que je suis encore aujourd'hui – et ce livre offert la veille ou l’avant-veille par une fée-marraine, en constitue une autre. Pas forcément aussi protectrice que la première, mais propre à éveiller l’imaginaire.

Peut-être ai-je, aussi, entrepris la rédaction de Sacha Guitry : les Films – et pris la décision de le faire paraître quelques srmaines avant Noël – pour qu’à trente et quelques années d’intervalle, la marraine-fée d'un(e) autre cinéphile en devenir puisse l’offrir à son filleul ou à sa filleule, que ce livre lui ouvre des horizons insoupçonnés, et déclenche en lui, ou en elle, une vocation qui passerait, au choix, par l’amour des images ou par celui des mots. Ou, soyons fous, insconscients et, même, follement prodigues, par l’amour des images et par celui des mots.

Armel De Lorme, Sacha Guitry : les Films, avant-propos.

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