Ciné-Clubs # 01

Publié le par Armel De Lorme

Ciné-Clubs # 01

LE BONHEUR (Marcel L'Herbier, 1934), ce soir vers minuit, sur France 3.

Du coup, exhumé de texte datant de trois ans...

« Est-ce dû au nom de Bernstein, à celui de L’Herbier, à ceux des deux principaux interprètes ou à leur présence conjointe sur l'affiche ? Toujours est-il que, depuis des années, Le Bonheur passe aux yeux de bon nombre de cinéphiles pour une sorte d’archétype du mélo impossible déjà daté au moment de sa sortie. Le film revu, rien n’est plus inexact. Il y a bien sûr le second « plaidoyer », assez grotesque en soi et interprété de façon désastreuse, de Gaby Morlay réclamant à la barre l’acquittement de son assassin, et il n’aurait peut-être pas été mauvais, sur ce seul point, d’aller « contre » l’œuvre adaptée et de jouer la carte de l’ellipse pure, quitte à faire totalement l’impasse sur le dernier acte, qui n’est du reste ni le plus solide, ni le mieux écrit, ni celui passant le mieux à l’écran. Il est toujours un peu prétentieux (et parfaitement inutile) de prétendre qu’à la place du réalisateur, on aurait fait ça ou ça, mais un enchaînement direct entre le plan de Boyer quittant la gare Saint-Lazare et la séquence finale du même assistant anonymement, parmi les spectateurs d’une salle de cinéma, à la projection du nouveau film de Clara, eût sans doute été préférable… Pour le reste, et si l’on fait abstraction de l’insuffisance de Morlay pendant toute la dernière partie de la séquence « Cour d’Assises », comment ne pas être séduit de bout en bout par la parfaite adéquation entre la subtilité psychologique du matériau de départ et la grâce infinie avec laquelle L’Herbier le transpose à l’écran, que renforce encore la fluidité du montage, la discrétion d’un retour fugace à l’avant-garde des années Vingt ? Aucun maniérisme, aucune affectation, aucune forme d’esbroufe ou de pédantisme dans le recours ponctuel à la cinétique ou aux surimpressions, utilisées avec parcimonie mais toujours judicieusement. Et comment ne pas être touché de bout en bout par la photogénie à géométrie variable de Morlay, dont on ne sait jamais si elle belle ou pas, mais dont le charme, bien réel, n’a peut-être jamais été aussi éclatant à l’écran ? Par ces fulgurances, le temps d’une scène ou deux, au cours desquelles les protagonistes, baissant la garde, ne sont plus des trentenaires quasiment « faits » mais des enfants ou des adolescents paumés et balbutiants ? Par le lent va-et-vient de la caméra entre Morlay et Boyer assis sur la même banquette arrière d’automobile après la sortie de prison du second, leçon de cinéma discrète mais efficace s’il en fût ? Par la séquence chantée de Morlay à l’avant-scène d’un grand music-hall et par la façon dont la caméra parvient à capter le côté un peu perdu de son regard ? Par l’émotion feutrée se dégageant au final de la grande sécheresse avec laquelle est traitée, de bout en bout, la troisième – mais première véritable – rencontre des deux protagonistes dans le bureau du juge ? Par la probité de Paulette Dubost, magnifique, et de Michel Simon, grandiose, jouant l’une les gourdes, l’autre les folles décomplexées sans jamais verser un instant, ni la première ni le second dans la caricature ? Par la grande justesse d’interprétation, enfin, de Jaque Catelain, acteur souvent approximatif, qui réussit le tour de force de glisser, par petites touches sensibles, du gigolo cynique aux dents longues à l’amant inquiet, de l’amant inquiet à l’amoureux éperdu avouant n’avoir cessé d’adorer celle que, sans trop y croire, il est venu une dernière fois tenté de reconquérir. Tout au long de sa dernière scène, Catelain, comédien souvent moqué en son temps (« la belle plante décorative de L’Herbier ») et totalement ignoré depuis des histoires du Cinéma, se hisse haut la main, entre grande sobriété et justesse de chaque instant, au (top) niveau du quatuor Morlay-Boyer-Simon-Dubost. Ce qui est, on excusera du peu, plutôt un compliment. »

Armel De Lorme, Encyclopédie des Longs-Métrages - Volume 4. © L'@ide-Mémoire, décembre 2011. Texte soumis au droit d'auteur et toute reproduction, même partielle, rigoureusement interdite sauf autorisation préalable des auteurs et éditeurs. Générique revisité et résumé détaillé dans l'ouvrage op. cit.

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